samedi 24 juillet 2010

Être jeune

Carmina Burana 91 (Sur les prêtres)

1 Comme est solide l'armure
qui protège votre ministère pastoral!
Cependant elle tombera de vos épaules,
si d'aventure vous contrevenez à vos obligations.

2 Vous connaissez les mots de l'Écriture :
quand vous offrez de l'encens à Dieu
avec un cœur impur,
cela ne lui est pas agréable.

3 Si vous enfreignez vos vœux
en méprisant la chasteté
ou en trafiquant des choses saintes,
vous êtes des voleurs, non des pasteurs.

4 Viens ici et réponds, prêtre
dont les mains sont souillées
et qui passes fréquemment la nuit
avec une femme, dans la volupté :

5 comment peux-tu, en te levant le matin,
dire la messe et consacrer le corps du Christ ?

6 Je voudrais savoir la raison pour laquelle
tu vas aussitôt à l'autel
accomplir le saint sacrifice,
quoique tu mérites d'être battu de verges.

7 Tu mérites d'être battu de verges
pour tenir alors, comme un corbeau et non un cygne,
comme un bâtard et non un héritier légitime,
le gage sublime de l'amour du Christ.

8 Loin d'être imprégné d'esprit de chasteté,
tu as profané ton cœur et ton corps,
et c'est ainsi que tu chantes la messe
pour le salut des âmes, prêtre impur.

9 Couvert de fange et d'ordure,
tu tends les mains vers l'autel.
Et qui négliges-tu, qui offenses-tu
en t'allongeant sur ta concubine ?

10 Tel…



Carmina 37 (Sur l'air de Gédéon, extrait)

[L'auteur peste contre l'Ordre de Grandmont et ses dissensions internes]

4 Que le saint épiscopat
et le roi oint
s'inclinent devant le pouvoir
et la voix d'une bête de somme,
c'est là un mystère divin,
ou peut-être l'effet de la folie propre aux laïcs.
En tout cas leur faveur est vénale :
il n'entre pas par la porte,
celui qui les prend sous son aile protectrice.


6 Dès qu'un nigaud, après un bref enseignement,
a revêtu la cape,
il prophétise à pleine poitrine,
éructe des exégèses
et dispute avec le maître de rhétorique.
Lui se tait, étonné
que les justes soient mis à l'écart
et qu'un homme sorti de la boue
donne des leçons.


Carmina Burana, traduction d’Etienne Wolff, éditions de l’Imprimerie National, 1995
1 Brûlant, intérieurement d'une violente colère,
dans l'amertume je veux me parler à moi-même :
le matériau qui compose mon corps étant léger,
je ressemble à la feuille dont se jouent les vents.

2 En effet alors que le propre d'un homme prudent
est de bâtir ses fondations sur le roc,
moi dans ma folie je suis comme le fleuve impétueux
qui jamais ne reste à l'intérieur de ses rives.

3 Je me laisse emporter tel un bateau sans pilote
ou un oiseau qui vagabonde à travers les airs ;
aucun lien ne me retient, aucun verrou ne m'arrête,
je cherche mes semblables et fréquente les vauriens.

4 L'austérité dans les sentiments me paraît un pesant fardeau,
j'aime le badinage, plus doux qu'un rayon de miel.
Tout ce qu'ordonne Vénus est une agréable contrainte,
car elle n'habite jamais les cœurs lâches.

5 Je prends le chemin spacieux de la perdition, comme souvent la jeunesse,
le péché m'enveloppe et je néglige la vertu,
étant plus soucieux de plaisirs que de mon salut;
mon âme est morte, mais je soigne ma chair.

6 Très sage évêque, montre-toi indulgent;
je fais une bonne fin, je péris de manière délicieuse :
mon cœur est blessé par la beauté des jeunes filles,
et quand j'échoue à les posséder, je fornique du moins avec elles en esprit.

7 Il est presque impossible de vaincre sa nature,
d'avoir des pensées pures à la vue d'une jeune fille;
nous les jeunes gens ne pouvons suivre une loi si dure,
ni délaisser nos corps en pleine vigueur.

8 Qui dans un brasier ne se sent pas brûlé?
Qui garderait sa réputation de chasteté après un séjour à Pavie,
où Vénus traque du doigt les jeunes gens,
charme leurs yeux et les séduit par ses attraits?

9 Si aujourd'hui on emmenait Hippolyte à Pavie,
il ne serait plus Hippolyte le jour suivant.
Toutes les rues de cette ville conduisent à la chambre de Vénus,
et parmi tant de tours on n'en trouve pas une pour la pudeur.

10 En deuxième lieu on me reproche ma passion du jeu.
Cependant quand le jeu me laisse nu,
je grelotte extérieurement, mais mon esprit bout d'excitation :
c'est alors que je forge mes meilleurs vers et poèmes.

11 Comme troisième grief il faut mentionner la taverne :
je l'ai toujours fréquentée et continuerai
jusqu'au moment où je verrai s'approcher les saints anges
qui chantent pour les trépassés le repos éternel.

12 J'ai le dessein de mourir à la taverne,
où le vin reste proche de la bouche du mourant.
Et le chœur des anges chantera joyeusement :
« Que Dieu vienne en aide à ce buveur ! »

13 Au fond du verre s'allume la flamme de l'esprit,
le cœur imprégné de ce nectar vole vers les hauteurs célestes.
Pour ma part je préfère le vin de la taverne
à celui que coupe d'eau l'échanson de l'évêque.

14 Certains poètes fuient le contact de la foule
et choisissent de vivre dans une discrète retraite.
Ils travaillent sans relâche, veillent, se donnent beaucoup de mal,
et ne parviennent pourtant pas à produire quelque chose d'illustre.

15 Ils jeûnent et pratiquent l'abstinence,
évitent les querelles publiques et le tumulte des rues,
et pour créer une œuvre immortelle,
se tuent eux-mêmes à la tâche comme des esclaves.

16 Les vers que je fais ressemblent au vin que je bois,
et je ne suis capable de rien si je n'ai pas mangé;
ce que j'écris à jeun n'a pas la moindre valeur,
mais après plusieurs verres je surpasse de loin Ovide.

17 Le souffle poétique ne me vient jamais
tant que mon ventre n'est pas bien rempli;
c'est seulement lorsque Bacchus gouverne la citadelle de mon cerveau
que Phébus pénètre en moi et me dicte des choses admirables.

18 Chacun reçoit de la nature un don particulier :
moi je n'ai jamais pu écrire à jeun;
un enfant alors, même sans aide, ferait mieux que moi.
Aussi je hais comme la mort la soif et la faim.

19 Chacun reçoit de la nature un don particulier :
je compose mes vers en buvant du bon vin,
le plus fin que contiennent les tonneaux de la taverne;
il me fournit les mots en abondance.

20 Voilà, j'ai révélé moi-même mon abjection,
tout ce dont tes serviteurs me blâment,
mais je n'ai accusé aucun d'eux,
quoique volontiers ils s'amusent et jouissent de leur prospérité.

21 Maintenant donc, en la présence de notre bienheureux évêque
et selon la règle édictée par le Seigneur,
qu'il me jette la pierre et accable le poète,
celui qui n'est pas coupable d'un seul péché.

22 J'ai dit contre moi tout ce que je savais,
et vomi le poison que je caressais depuis si longtemps.
Je renie mon ancienne existence et veux me réformer;
car l'homme regarde à l'apparence, mais Dieu voit le cœur.

23 Oui j'aime la vertu et abhorre le vice.
Régénéré, je renais en l'esprit;
comme un petit enfant je me nourris de lait frais,
pour que mon cœur ne soit plus un vase de vanité.

24 Prélat élu de Cologne, épargne un indigent,
aie pitié du serviteur qui t'implore,
accepte ma confession et inflige-moi une pénitence.
Je ferai sans rechigner tout ce que tu m'ordonneras.

25 Viens en aide à ceux qui t'obéissent et oublie ta colère.
Le lion, roi des animaux, pardonne quand on se soumet :
faites-en donc autant, vous, les princes de la terre;
car ce qui manque de douceur est vraiment trop amer.

26 Comme ta réputation s'est largement répandue,
mes propos n'ont besoin que de concorder avec la vérité.
Il serait stupide de retoucher un beau tableau
ou de semer dans un champ déjà ensemencé.

27 Donc, emporté par la gloire éclatante qui te précède
je suis venu, non pour lancer sans mesure des mots aux vents,
mais afin de recevoir d'un cœur qui l'offre
- conformément au précepte du Seigneur - la rosée du pardon.

28 Examine si tu veux me garder auprès de toi.
Je crois avoir des capacités pour rédiger les lettres
et, quand il y aura du travail pressant à faire,
je pourrai m'acquitter de ta correspondance.

29 Si tu refuses, exauce du moins cette prière :
allège dans ta bonté le fardeau de ma pauvreté
et, pour me libérer de mes soucis matériels,
veille à m'accorder quelque subside.

30 Mon père, j'ai embrassé beaucoup de choses en peu de mots,
parce qu'il sied à des lettrés de s'exprimer avec concision.
J'ai aussi décidé de ne pas m'étendre davantage,
pour couper court aux reproches de flatterie.


Carmina Burana, traduction d’Etienne Wolff, éditions de l’Imprimerie Nationale, 1995